Voici la traduction de l'article d'Alan Cooper, directeur au Centre Australien pour l'ADN Ancien, Université d'Adelaïde, et Julien Soubrier, chercheur en paléogénomique à l'Université de d'Adelaïde.
Il y a plus de 30000 ans, les premiers artistes, dans ce qui est aujourd'hui le sud-ouest de la France, se sont aventurés profondément dans les grottes en calcaire où ils ont peint des fresques élaborées et détaillées des immenses animaux qui dominaient leur vie.
L'exactitude des représentations est remarquable (bien mieux que ce que la plupart d'entre nous pourrait réaliser), sachant qu'ils étaient accroupis sous un mur humide incliné avec pour seule lumière celle d'amas flamboyants de végétaux et de graisse.
Leurs peintures listent un monde fait de lions des cavernes, de bisons et de chevaux, que nous ne commençons seulement à découvrir grâce aux technologies combinées de l'ADN ancien et de la datation au radiocarbone.
Les résultats montrent que malgré l'étude de l'art pariétal depuis des centaines d'années, nous avons été aveugles à certaines des histoires les plus importantes que nous racontaient les artistes.
Notre recherche en est un exemple (voir l'article paru à ce sujet dans Nature Communications: "Early cave art and ancient DNA record the origin of European bison"): nous avons étudié l'ADN ancien d'ossements fossilisés pour déduire l'existence d'une nouvelle espèce de bison... et pour nous rendre compte qu'elle avait déjà été dépeinte sur les murs des grottes à travers l'Europe, comme dans la grotte de Niaux dans le sud-ouest de la France il y a 17000 ans.
En 1999, nous avons commencé à étudier l'ADN d'anciens ossements de Bison trouvés à travers l'hémisphère nord, où le bison des steppes s'étendait de la Grande-Bretagne moderne jusqu'au Mexique à la fin de l'ère glaciaire
Notre but était d'étudier l'impact du changement climatique sur les populations animales, et assez vite nous avons remarqué qu'en Amérique du Nord, les populations de bison se sont effondrées aux alentours du dernier maximum glaciaire (entre 18000 et 21000 ans). C'était bien avant l'arrivée des hommes dans cette région du monde, et c'était la première démonstration claire du rôle clé joué par le changement climatique dans l'extinction des bisons, avec une variété d'autres grandes espèces que l'on appelle la "mégafaune".
Nous avons depuis étendu cette étude à l'Amérique du Sud, pour découvrir que des événements de réchauffement rapide ont été un facteur critique dans la disparition de nombreuses espèces de la mégafaune, souvent avec une touche finale importante apportée par les chasseurs humains.
En Europe, cependant, nos premières études d'ADN ancien de bison nous ont rendus perplexes. En étudiant l'ADN mitochondrial, qui est hérité exclusivement par la lignée maternelle, nous avons réalisé que de nombreux ossements ne provenaient clairement pas du bison des steppes, bien que l'on pensait qu'il s'agissait de la seule espèce à avoir vécu en Europe il y a plus de 10000 ans.
Au contraire, nous avons réalisé que nous observions quelque chose de nouveau: une espèce éloignée des bovins actuels et du bison européen moderne, qui survit dans quelques forêts protégées d'Europe, en particulier la Forêt de Białowieża entre la Pologne et la Biélorussie.
Le bison d'Europe peu connu est remarquable: c'est la plus grande espèce d'Europe, mais avec des données fossiles qui remontent seulement jusqu’à 10000 ans. Il a frôlé l’extinction après la Première Guerre Mondiale après l'effondrement des zones de chasse imposées par les royautés polonaise et russe. En effet, les troupeaux modernes sont issus de seulement 12 individus, dont un mâle du Caucase, où le dernier bison sauvage a été abattu en 1927.
Etant donné que l'ADN de nos anciens ossements ne provenaient ni du bison des steppes ni du bison d'Europe, il semblait que nous ayons trouvé une nouvelle espèce. Nous avons commencé à l'appeler le "Bison de Higgs", car, comme le boson de Higgs insaisissable que les physiciens ont traqué pendant des décennies, nous avions supposé l'existence de quelque chose sans savoir à quoi cela ressemblait.
La première chose que nous avions besoin de faire était de confirmer que notre ADN mitochondrial corresponde à l'ADN nucléaire, qui est plus difficile à récupérer dans les anciens ossements mais qui contient tous les aspects de l'ascendance, pas seulement l'héritage maternel.
L'ADN nucléaire a montré que notre bison de Higgs était hybride, un croisement entre un auroch femelle, l'ancêtre sauvage éteint du bétail moderne, et d'un bison des steppes mâle. Nous avons daté cette hybridation à plus de 120000 ans. Fait intéressant, cette ascendance était la même pour le bison européen moderne, et, même si l'ADN mitochondrial avait l'air différent (probablement en raison du goulot d'étranglement génétique récent de la population), le bison de Higgs s'est révélé être l'ancêtre du bison d'Europe.
Nous ne savons pas où ni pourquoi s'est produit l'hybridation originelle, mais la reproduction récente entre ours polaires et ours bruns en réponse aux contractions de l'aire de répartition induites par le climat nous donne un indice et laisse supposer que le changement climatique a pu jouer un rôle.
Les progénitures mâles nées de l'union de l'auroch et du bison des steppes étaient stériles, comme cela est commun pour les mammifères hybrides. En conséquence, plusieurs générations de femelles ont frayé avec les bisons des steppes mâles, ce qui a donné une ascendance génétique avec 10% d'aurochs et 90% de bison des steppes.
Après cet échange initial entre les espèces parentales, le bison de Higgs a continué seul le chemin, survivant aux 120000 années à venir, à l'arrivée de l'homme moderne, aux extinctions de la mégafaune, à la Première Guerre Mondiale et à la révolution communiste...
Mais, bien que nous sachions maintenant que le bison de Higgs est devenu le bison d'Europe, nous n'avions pas réellement trouvé d'autres données sur le bison de Higgs lui-même.
Deux groupes ont répondu positivement.
Les collègues hollandais ont rapporté que parmi les nombreux ossements de bison des steppes et d'aurochs dragués dans la Mer du Nord, ils ont noté un autre animal plus petit, moins commun.
Entre-temps, les chercheurs français dans l'art pariétal ont répondu qu'ils avaient remarqué que parmi les dessins des grottes il y avait deux formes distinctes de bison: un en forme de coin avec de grandes cornes, ressemblant au bison américain moderne, et un animal plus uniforme avec de petites cornes, comme le bison européen.
La datation au radiocarbone de l'art rupestre a montré que la figure en forme de coin a été dessinée lorsque le bison des steppes était présent dans le paysage (il y a environ 18000 ans), alors que la version avec des petites cornes a été dessinée lorsque notre nouvelle espèce dominait l'Europe (à partir de 17000 ans)
Chaque espèce semble avoir régné en Europe pendant de longues périodes de temps, en alternance selon les grands changements climatiques. Dans l'ensemble, cette étude a suscité de nombreuses surprises. Apparemment, les mammifères peuvent former de nouvelles espèces par hybridation, même si ce n'est que rarement. Cela montre aussi que malgré les immenses données fossiles sur le bison, et les dessins utiles des deux espèces sur les murs des grottes, il nous a fallu jusqu'à maintenant pour avoir l'histoire complète.
On peut se demander combien d'autres espèces se cachent encore à pleine vue, utilement catalogués par les artistes des grottes préhistoriques...
Source:
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Bison européen moderne dans la Forêt de Białowieża, Pologne. Photo: Rafał Kowalczyk
L'exactitude des représentations est remarquable (bien mieux que ce que la plupart d'entre nous pourrait réaliser), sachant qu'ils étaient accroupis sous un mur humide incliné avec pour seule lumière celle d'amas flamboyants de végétaux et de graisse.
Leurs peintures listent un monde fait de lions des cavernes, de bisons et de chevaux, que nous ne commençons seulement à découvrir grâce aux technologies combinées de l'ADN ancien et de la datation au radiocarbone.
Les résultats montrent que malgré l'étude de l'art pariétal depuis des centaines d'années, nous avons été aveugles à certaines des histoires les plus importantes que nous racontaient les artistes.
Notre recherche en est un exemple (voir l'article paru à ce sujet dans Nature Communications: "Early cave art and ancient DNA record the origin of European bison"): nous avons étudié l'ADN ancien d'ossements fossilisés pour déduire l'existence d'une nouvelle espèce de bison... et pour nous rendre compte qu'elle avait déjà été dépeinte sur les murs des grottes à travers l'Europe, comme dans la grotte de Niaux dans le sud-ouest de la France il y a 17000 ans.
L'ADN lance l'hypothèse d'une nouvelle espèce
En 1999, nous avons commencé à étudier l'ADN d'anciens ossements de Bison trouvés à travers l'hémisphère nord, où le bison des steppes s'étendait de la Grande-Bretagne moderne jusqu'au Mexique à la fin de l'ère glaciaire
Notre but était d'étudier l'impact du changement climatique sur les populations animales, et assez vite nous avons remarqué qu'en Amérique du Nord, les populations de bison se sont effondrées aux alentours du dernier maximum glaciaire (entre 18000 et 21000 ans). C'était bien avant l'arrivée des hommes dans cette région du monde, et c'était la première démonstration claire du rôle clé joué par le changement climatique dans l'extinction des bisons, avec une variété d'autres grandes espèces que l'on appelle la "mégafaune".
Nous avons depuis étendu cette étude à l'Amérique du Sud, pour découvrir que des événements de réchauffement rapide ont été un facteur critique dans la disparition de nombreuses espèces de la mégafaune, souvent avec une touche finale importante apportée par les chasseurs humains.
En Europe, cependant, nos premières études d'ADN ancien de bison nous ont rendus perplexes. En étudiant l'ADN mitochondrial, qui est hérité exclusivement par la lignée maternelle, nous avons réalisé que de nombreux ossements ne provenaient clairement pas du bison des steppes, bien que l'on pensait qu'il s'agissait de la seule espèce à avoir vécu en Europe il y a plus de 10000 ans.
Au contraire, nous avons réalisé que nous observions quelque chose de nouveau: une espèce éloignée des bovins actuels et du bison européen moderne, qui survit dans quelques forêts protégées d'Europe, en particulier la Forêt de Białowieża entre la Pologne et la Biélorussie.
La génétique et l'art pariétal ont révélé l'hybridation asymétrique entre un aurochs femelle et un bison des steppes mâle. La descendance hybride masculine est stérile, et la descendance femelle a frayé avec le bison des steppes pendant plusieurs générations, peut-être avec le même mâle.
Le bison d'Europe peu connu est remarquable: c'est la plus grande espèce d'Europe, mais avec des données fossiles qui remontent seulement jusqu’à 10000 ans. Il a frôlé l’extinction après la Première Guerre Mondiale après l'effondrement des zones de chasse imposées par les royautés polonaise et russe. En effet, les troupeaux modernes sont issus de seulement 12 individus, dont un mâle du Caucase, où le dernier bison sauvage a été abattu en 1927.
Etant donné que l'ADN de nos anciens ossements ne provenaient ni du bison des steppes ni du bison d'Europe, il semblait que nous ayons trouvé une nouvelle espèce. Nous avons commencé à l'appeler le "Bison de Higgs", car, comme le boson de Higgs insaisissable que les physiciens ont traqué pendant des décennies, nous avions supposé l'existence de quelque chose sans savoir à quoi cela ressemblait.
Sur la piste du Bison de Higgs
La première chose que nous avions besoin de faire était de confirmer que notre ADN mitochondrial corresponde à l'ADN nucléaire, qui est plus difficile à récupérer dans les anciens ossements mais qui contient tous les aspects de l'ascendance, pas seulement l'héritage maternel.
L'ADN nucléaire a montré que notre bison de Higgs était hybride, un croisement entre un auroch femelle, l'ancêtre sauvage éteint du bétail moderne, et d'un bison des steppes mâle. Nous avons daté cette hybridation à plus de 120000 ans. Fait intéressant, cette ascendance était la même pour le bison européen moderne, et, même si l'ADN mitochondrial avait l'air différent (probablement en raison du goulot d'étranglement génétique récent de la population), le bison de Higgs s'est révélé être l'ancêtre du bison d'Europe.
Nous ne savons pas où ni pourquoi s'est produit l'hybridation originelle, mais la reproduction récente entre ours polaires et ours bruns en réponse aux contractions de l'aire de répartition induites par le climat nous donne un indice et laisse supposer que le changement climatique a pu jouer un rôle.
Les progénitures mâles nées de l'union de l'auroch et du bison des steppes étaient stériles, comme cela est commun pour les mammifères hybrides. En conséquence, plusieurs générations de femelles ont frayé avec les bisons des steppes mâles, ce qui a donné une ascendance génétique avec 10% d'aurochs et 90% de bison des steppes.
Après cet échange initial entre les espèces parentales, le bison de Higgs a continué seul le chemin, survivant aux 120000 années à venir, à l'arrivée de l'homme moderne, aux extinctions de la mégafaune, à la Première Guerre Mondiale et à la révolution communiste...
Mais, bien que nous sachions maintenant que le bison de Higgs est devenu le bison d'Europe, nous n'avions pas réellement trouvé d'autres données sur le bison de Higgs lui-même.
Nous avons donc demandé à nos collègues européens si quelqu'un avait remarqué un bison étrange dans leurs données.
Deux groupes ont répondu positivement.
Les collègues hollandais ont rapporté que parmi les nombreux ossements de bison des steppes et d'aurochs dragués dans la Mer du Nord, ils ont noté un autre animal plus petit, moins commun.
Entre-temps, les chercheurs français dans l'art pariétal ont répondu qu'ils avaient remarqué que parmi les dessins des grottes il y avait deux formes distinctes de bison: un en forme de coin avec de grandes cornes, ressemblant au bison américain moderne, et un animal plus uniforme avec de petites cornes, comme le bison européen.
La datation au radiocarbone de l'art rupestre a montré que la figure en forme de coin a été dessinée lorsque le bison des steppes était présent dans le paysage (il y a environ 18000 ans), alors que la version avec des petites cornes a été dessinée lorsque notre nouvelle espèce dominait l'Europe (à partir de 17000 ans)
Chaque espèce semble avoir régné en Europe pendant de longues périodes de temps, en alternance selon les grands changements climatiques. Dans l'ensemble, cette étude a suscité de nombreuses surprises. Apparemment, les mammifères peuvent former de nouvelles espèces par hybridation, même si ce n'est que rarement. Cela montre aussi que malgré les immenses données fossiles sur le bison, et les dessins utiles des deux espèces sur les murs des grottes, il nous a fallu jusqu'à maintenant pour avoir l'histoire complète.
On peut se demander combien d'autres espèces se cachent encore à pleine vue, utilement catalogués par les artistes des grottes préhistoriques...
Relecture par Digitarium.fr
Source:
- The conversation: "How we discovered the ‘Higgs bison’, hiding in plain sight in ancient cave art"
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Très tres intéressant merci Mr Lasall pour tous vos articles et bonne année a vous
RépondreSupprimerEffectivement, c'est très intéressant. Les croisement naturels sous un nouveau jour.
RépondreSupprimerEt avec de l'humour !
Bonjour Monsieur Adamczak,
RépondreSupprimerMerci à vous et je vous souhaite très bonne année également !